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Jour 34 - Mercredi 15 Août - Part I

Tchernobyl

Chacun de nos roadtrips contient un ou deux points particuliers, des sites qui justifient à eux seul l'intégralité du voyage. Ce fut le cas des Orcades ou de l'Ile d'Isley en Ecosse, du Cap Nord, de St Petersbourg pour notre tour de la Baltique, du pont entre Europe et Asie à Istanbul ou bien encore de Bouzloudja en Bulgarie. Cet été le point d'orgue incontestable du voyage, c'est Tchernobyl.

Si je ne suis pas venu plus tôt à Tchernobyl, une sorte d'Everest des sites d'Urbex, c'est parceque la zone n'est pas d'un accès facile. En clair trois options s'offrent à vous. La première c'est la ballade en minibus par groupe de 20-25. C'est l'option la moins couteuse et la plus simple mais... vous vous tapez 20 touristes et vous devez "faire où on vous dit de faire". Autant vous dire que c'est même pas une option envisageable pour moi. La seconde option c'est d'acheter les 25 places du minibus pour y aller tranquillement seul ou bien accompagné. Ca se fait et du coup la visite est un peu plus à la carte (Je dis bien 'un peu plus' car beaucoup de guides suivent quand même le règlement et il faut savoir par exemple que l'accès aux intérieurs des immeubles est officiellement interdit depuis deux ans environ...). L'option 3 c'est l'intrusion. Il y a des gens qui se sont fait une spécialité d'aller illégalement dans la zone, on les appelle des 'Stalkers'. Bon le soucis est ici évident, quand vous payez un inconnu pour vous amener illégalement quelques part, vous risquez de tomber sur un incompétent ou un malhonnête... Sans un contact pour vous présenter ça me parrait trop risqué !

Je m'étais pourtant dit que ça serait l'option 3 ou rien. Et puis courant 2017, un ami urbexeur bulgare m'envoie quelques photos de Tchernobyl. Je lui demande si c'est de l'intrusion ? Mieux que ça, il a un ami fan d'urbex qui est guide officiel, donc qui peut pénétrer quand il veut sur le site et avec qui il veut (du moment que les papiers sont en règles). C'est comme ça que j'ai connu Serj et qu'on a décidé que l'Ukraine serait notre destination de l'été 2018.

Tchernobyl se situe à une centaine de Km au nord de Kiev, soit 2 heures de voiture. Serj passe nous chercher à l'hôtel à 8h00 (J'ai pris soin de prendre pour ces deux nuits un hôtel au nord ouest de Kiev histoire d'éviter de perdre une heure en embouteillage de bon matin...) et nous voilà parti pour la zone d'exclusion. Cette zone a un rayon d'environ 30 Km autour de la centrale et couvre 2 600 km2 (La superficie du Luxembourg ! ). L'aventure commence au "check point" de sécurité où l'on est prié de montrer patte blanche (passeport et autorisation d'accès). Il faut aussi signer une décharge de responsabilité pour indiquer qu'on est informé "qu'il est fortement déconseillé d'entrer dans la zone et qu'on y va donc à nos risques et périls".

Le Check Point, c'est aussi l'occasion de voir nos deux premiers minibus de touristes... Et quels touristes ! Baskets, tee shirt, short... Ok il faut chaud mais quand même c'est pas vraiment Disneyland ! Serj est assez cynique sur le sujet, nous faisant remarquer que les gars ont presque tous un compteur Geiger mais se balladent bras nu... Et d'ajouter que l'immense majorité laissera rapidement le compteur Geiger dans le bus parce que "c'est pas pratique dehors"...

5 minutes après le check point, premier arret obligatoire au panneau d'entrée de la ville. Et juste après, première surprise, Tchernobyl c'est seulement des petits immeubles vieillots de 3 ou 4 étages, il y a des commerces ouverts et il y a des habitants ! Une petite bourgade ukrainienne comme on en a croisé des centaines. Serj m'explique qu'on peut habiter ici seulement 15 jours par mois. Beaucoup d'habitants sont des scientifiques étudiants les effets de la radioactivité sur les cultures et l'environnement. Mais il y a aussi des personnes agées qui sont revenus vivre là où elles ont toujours vécu. Personne ne semble se soucier de savoir si ces gens là respectent la sécurité des 15/15 (Plus exactement tout le monde sait qu'ils vivent là en permanance...)

Si la lecture du passage sur l’Apocalypse dans la Bible est rapide, sa compréhension est assez hermétique. La facette première du symbole ne peut se révéler qu’en temps et lieu, et plus on se rapproche du point focal, plus la lecture symbolique se raffine et s’approche du sens premier. Je vous assure qu'ici la prophécie prend tout son sens...

Apocalypse 08:07 : Le premier ange sonna de la trompette. Et il y eut de la grêle et du feu mêlés de sang, qui furent jetés sur la terre; et le tiers de la terre fut brûlé, et le tiers des arbres fut brûlé, et toute herbe verte fut brûlée.

J’ai encore en tête les paroles absurdes des scientifiques et des politiciens français nous assurant en 1986, avec gravité et une sincérité hypocrite, que les nuages radioactifs s’arrêtaient à la frontière. Des nuages aussi dociles, invisibles et soumis que des attachés parlementaires. C'est pas tant l'accident qui révolte que la bêtise humaine qui l’entoure. Une incompétence dans la préparation, dans la gestion, dans l’information de cet incident. Une merveille de l’administration soviétique mais pas que... Le pinacle bureaucratique de l’absurde de son époque. Localement, ils voulaient tellement éviter la panique qu'ils préféré tranquillement laisser 900 enfants participer à une course à pied autour de la centrale en matinée alors que l’accident s'était produit pendant la nuit. Tous ces hommes, ces femmes, ces enfants ont vécu les 30 premières heures comme si rien de grave ne s'était passé. Ou peut être a t'on juger, au fond, qu’ils ne valaient pas grand chose ? La sauvegarde des apparences passent avant la sauvegarde des populations. Alors c'était la Russie communiste me direz vous... Sauf que ce fut la même chose à Paris et combien de gens ont développer un cancer parcequ'ils ont fait des choses qu'ils n'auraient jamais fait si on les avait correctement informé... Alors c'était il y a 30 ans mais a-t-on appris de ça ? Je ne le pense pas quand je voie le nombre d'abrutis qui traitent de "conspirationniste", l'insulte à la mode, toute personne qui ose penser que certains intérets priment sur celui de la population aux yeux de nos élites... En attendant, derrière des fauteuils, dans le silence ouaté de chaires universitaires, on en est encore à compter les morts en se plaignant des difficultés d’évaluations statistiques qui ne permettent pas d’imputer facilement la cause d’un décès aux conséquences de Tchernobyl. Ici on lit un impact de 5%, là 13%, et on vous dira que, finalement, ce n’est pas si significatif...

Quelle témoignage plus fort que ceux qui furent là et qui le sont toujours pour témoigner ? Témoigner du drame du passé et de l’espoir de l’avenir. Moi je pensais que les radiations les avaient presque tous tués. Tous ceux que l’on a jeté dans la fournaise mortelle sans les informer, comme les pompiers de Pripiat, puis les centaines de milliers de liquidateurs que l’on a chargé de nettoyer le site sans vraiment les protéger. Tous morts. Ou tout du moins l'immense majorité. Tous sacrifiés pour une cause. Pour que cette catastrophe n’en amène pas une autre. Ils ont donné des minutes, des heures, des années de leur espérance de vie pour que nous, vous et moi, puissions savourer ces mêmes années, heures, minutes. Mais ils ne sont pas tous morts en fait, loin de là (Chiffres bruts : Sur 600 000 liquidateurs on dénombre 60 000 morts et 100 000 handicapés). Néanmoins, on sait si peu de leur existence, de leur sacrifice, de leur souffrance. C’est comme si on avait décidé de les oublier dès qu'ils n'étaient plus utile car ils génaient… Nos élites veulent l'énergie atomique et il ne faudrait pas que la population ait trop souvent des rappels négatifs n'est ce pas ! Les gens célèbrent aujourd'hui l'auto électrique comme le sommum de l'écologie sans jamais se demander ni ce qu'on va faire des batteries qui contiennent un tas d'éléments très polluants ni d'où va venir l'électricité...

Si on parle généralement (et à tord) de la 'ville de Tchernobyl' il faut savoir que c'est pas moins de 97 villages qui ont du être détruits à cause de la contamination, 97 villages dont il ne reste que le nom sur 97 panneaux plantés sur une place du centre de Tchernobyl. Quand à "la ville" ça n'était pas Tchernobyl (12500 habitants en 1986) mais Pripiat (50000 habitants en 1986 - Soit la population de villes comme Belfort, Annecy, Evreux, Fréjus, Vannes ou Montauban).

Dernière halte à Tchernobyl, un parking grillagé souvent présenté aux touristes comme une casse de véhicules ayant été utilisés pour la décontamination. Ca fait bien rire Serj qui me dit que si c'était vrai, le Geiger hurlerait et qu'on va avoir l'occasion de vérifier ses dires un peu plus tard. Non il ne s'agit en fait que de répliques, des répliques très fidèles, de divers véhicules utilisés par les liquidateurs. Nous reprenons ensuite la route, direction un des sites les plus secrets de l'Union Soviétique, bien plus secret qu'une malheureuse centrale nucléaire...