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Jour 15 - Vendredi 27 Juillet

Réserve d'Ascania Nova - Mer d'Azov

Ce matin nous allons traverser le Dniepr, troisième fleuve d'Europe par sa longueur de 2200 km. Le Dniepr prend sa source en Russie centrale et se jette dans la mer Noire après avoir parcouru environ 500 km en Russie puis 600 km en Biélorussie et enfin 1 100 km en Ukraine. Avant les grands travaux d'aménagement dont il a fait l'objet durant l'ère soviétique, son cours était, entre Dnipropetrovsk et Zaporojie, rapide et embarrassé par des blocs de granite et des bancs de craie qui donnaient naissance à plusieurs cataractes. Le Dniepr n'avait au 19ème siècle qu'un pont, celui de Kiev ; encore s'enlevait-il l'hiver, car on passait alors le fleuve sur la glace, et la débâcle l'aurait emporté au printemps.

Ceux qui ont suivi notre incursion en Ukraine depuis la Moldavie l'an dernier savent que les routes ukrainiennes étaient ma grande inquiétude pour le roadtrip de cet année. Mais visiblement après avoir perdu la Crimée et avoir deux autres Oblast qui veulent faire sécession, le gouvernement ukrainien a comme par miracle trouvé les moyens nécessaires pour refaire tout le réseau routier principal. En effet, depuis notre départ on ne peux que se féliciter de la qualité des nationales qu'on a utilisé... Bon par contre dès qu'on s'aventure sur les routes secondaires c'est une autre affaire mais là on n'a pas le choix, on veux rejoindre un petit bout de steppe situé au nord de la mer Noire, la réserve d'Ascania-Nova.

Ascania-Nova est la plus vieille réserve steppique du monde. Située dans le sud de l’Ukraine, non loin de la frontière avec la Crimée, elle s’étend sur plus de 33 000 hectares et renferme l’un des derniers arpents de steppe vierge du monde. Sur ce territoire, des hordes d’animaux sauvages venus d’Afrique, d’Asie Centrale et des Amériques vivent et errent librement.

La steppe eurasienne est une gigantesque bande herbeuse semi-aride qui s’étend depuis le nord de la Chine et de la Mongolie jusqu’en Ukraine et en Hongrie, en passant par la Russie. Depuis plus de deux millénaires, cette région représente une sorte d’autoroute des civilisations, une route grande ouverte empruntée par la marche de l’histoire. À l’instar des prairies américaines, la steppe est un lieu mythique, un paysage infini d’herbes ondoyantes. « On avance, on avance, et on ne peut distinguer, ni où ce plateau commence, ni où il finit », écrivait Anton Tchekhov à la fin du 19ème dans son excellente nouvelle intitulée « La steppe ».

La réserve, privée au départ, fut fondée à la fin du 19ème siècle par un riche et ambitieux propriétaire terrien, Friedrich Falz-Fein, un descendant de colons germaniques installés dans cette région. Gentleman aux idées progressistes et quelque part écolo amateur, Falz-Fein décida de clôturer une partie de la steppe vierge de sa propriété afin de protéger la flore des labours et des moutons qui mettaient inévitablement en danger les paysages au sud de l’Ukraine. Néanmoins, son ambition ne s’arrêtait pas là : il souhaitait y introduire des animaux sauvages, tant locaux que d’ailleurs, vivant dans les environnements steppiques.

Rapidement, Ascania-Nova hébergea des meutes d’antilopes saïga en danger d’extinction (autrefois nombreuses dans les steppes eurasiennes), des buffles, des zèbres, des chameaux, des autruches, des gnous et même des kangourous. Beaucoup de ces animaux vivaient dans des conditions de semi-liberté. En 1899, Falz-Fein finança une expédition en Mongolie : il importa alors dans la réserve des chevaux de Przewalski, les derniers chevaux réellement sauvages. L’entreprise permit de sauver cette espèce de l’extinction. Lorsque le tsar Nicolas II visita ce parc en 1914, il fut tellement impressionné qu’il anoblit Falz-Fein. « C’est très impressionnant », écrivit-il à sa mère, « on dirait une scène de la Bible, comme si tous les animaux sortaient de l’arche de Noé ».

Toutefois, la tragédie l’attendait. Située aux portes de la Crimée, aux premières loges des combats les plus intenses de la guerre civile russe, Ascania-Nova fut rapidement dévastée, et Falz-Fein du fuir en Allemagne. Vladimir, le frère de Falz-Fein, révèle dans ses mémoires que lorsque les bolcheviques prirent possession de la réserve, ils massacrèrent plusieurs animaux pour se nourrir et utilisèrent l’artillerie contre les hordes de chevaux sauvages et d’antilopes, les prenant pour la cavalerie ennemie. Fort heuresement la réserve fut ensuite vaguement entretenue jusqu'en 1990 puis rénovée un peu avant l'an 2000.

Pour cet après midi passé à rouler dans la steppe nous utilisons une UAZ-452, fourgonnette soviétique tout-terrain communément appelée boukhanka, ou « miche de pain ». Ca ne va pas vite, ça n'est pas confortable mais ça roule dans la boue sans aucun problème là où mon pauvre trafic se serait vite retrouvé complètement immobilisé.

Nous avons la chance, peu avant de quitter la réserve, de croiser quelques chevaux de Przewalski. Ce cheval a été « découvert » tardivement, en 1879, par le colonel Nikolaï Mikhaïlovitch Prjevalski. Cet explorateur russe d'origine polonaise, le trouva en Dzoungarie, dans les montagnes qui bordent le désert de Gobi. Avant cet événement, l'espèce était considérée comme éteinte, décimée pour sa viande par les chasseurs mongols. Des projets ayant pour but de ramener l'espèce en Mongolie et de la relâcher dans la nature ont vu le jour depuis les années 1990. Il existe enfin certains troupeaux vivant en semi-liberté, dans des espaces clos. Impossible à discipliner par nature, il ne peut être ni dressé ni monté.

Nous quittons la réserve en fin d'après midi avec regret... Pour un peu ça donnerait envie d'aller faire un roadtrip en Afrique... Comme nous sommes à deux pas de la Crimée, on décide d'aller voir la zone frontière. Bien je peux donc confirmer que pour une fois les infos TV françaises correspendent à la réalité. Série de postes de contrôle militaires où des hommes bourrus en tenue de camouflage creusent des tranchées, armés d’une kalachnikov, véhicules blindés et chars d’assaut garés sur les bas-côtés, pas de doute c'est pas une frontière "pour rire" et on comprend d'ailleur très vite qu'on ne doit pas s'attarder. Mention spéciale au seul militaire qui parlait quelques rares mot d'anglais et qui nous dit au moment de partir "Good Luck" ! On ne saura jamais si il voulait dire "Bonne route" ou réellement "Bonne chance"...

Fin de journée en bordure de la mer d'Azov, une "petite" mer intracontinentale peu profonde bordée à l'ouest et au nord par l'Ukraine, à l'est par la Russie et au sud par la presqu'île de Crimée et la péninsule de Taman (Russie), toutes deux séparées par le détroit de Kertch qui la relie à la mer Noire. Elle porte le nom de la ville d'Azov. Elle forme l’estuaire commun de plusieurs fleuves, dont le principal est le Don.

Dans l’Antiquité, les habitants de ses rives étaient appelés « Cimmerii » (Cimmériens soit « ceux du bout du monde ») par Hérodote. Voilà, maintenant vous savez d'où vient le celèbre Conan le Barbare...